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MeToo au tapis rouge

créé par Manon Kaddour-Lantheaume - Dernière modification le 02/04/2024



Judith  Godrèche aux Césars 


Ça s’est passé le 23 février 2024 à la cérémonie des Césars, 4 ans après que Adèle Haenel cria « C’est la honte, la honte ! » lorsque Polanski a été récompensé. Cette fois-ci ce n’était pas une réponse de colère face à la récompense d’un prédateur, mais une voix, une parole qui s’est libérée et qui a dit tout haut ce qui est terriblement tabou dans le monde du cinéma français. Cette voix c’est Judith Godrèche, actrice et réalisatrice, elle-même victime d’abus au début de sa carrière à l’âge de 14 ans par Benoît Jacquot, âgé de 40ans. Une emprise sur mineur et de domination à l’instar de l’histoire de Vanessa SpringoraJudith Godrèche s’est tenue face à la salle remplie des plus renommés du cinéma français, en tenant un discours de 6 minutes pour soulever ce voile de déni et de peur qui obscurcit la magie du cinéma français.


« Il faut se méfier des petites filles, elles touchent le fond de la piscine, elles se blessent mais elles rebondissent »


La première réaction générale a été un grand silence, mais Judith Godrèche a quand même eu quelques retours d’encouragement et de félicitations. Notamment à l’extérieur de la cérémonie avec la CGT Spectacle, la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF), le Collectif 50/50, l’Association des acteur.ices (ADA) et l’intervention de l’actrice Anna Mouglalis.


« Bravo à Judith ! » 



 

Dernièrement, Judith Godrèche s'est entrevue avec le juge Edouard Durand, ils ont longuement discuté sur la protection des enfants et le déni collectif des violences sexuelles sur les enfants. Judith Godrèche déclare : « Son aide m’est essentielle, observe Judith Godrèche. Il a une façon de sublimer sa colère en action qui a beaucoup résonné en moi. »

Table ronde à médiapart 


Dans l’émission de médiapart, à l’air libre, Mathieu Magnaudeix et Marine Turchi reçoivent Judith Godrèche avec Iris Brey dans un premier temps. Judith Godrèche va donc parler de son vécu avec Benoît Jacquot, les tentatives de prise de parole quand elle était plus jeune, mais elles étaient infructueuses à l’électrochoc du livre de Vanessa Springora. Qui étrangement, leurs deux histoires sont très similaires et n'ont pas l’air d’être isolés.



Le monde du cinéma est-il contaminé par des agresseurs, des abuseurs de pouvoirs, des hommes plus âgés qui manipulent des jeunes filles et jeunes femmes par désir de domination ? Manipulation, agression, viol, combien sont-elles à avoir subi ça ? Comment le milieu cinématographique verrouille la parole des victimes ?


Ce débat ouvre sur le second temps de l’émission, avec pour invités Anna Mouglalis, Charlotte Arnould, Anouk Grinberg, Manda Touré, Marie Lemarchand, Noémie Kocher et Iris Brey.


« MeToo nous sauve la vie »


Christine Citti, actrice, a eu le courage de témoigner chez Mediapart, voici quelques extraits de son témoignage émouvant dénonçant l’abus de pouvoir et de domination des réalisateurs français.


« C’était tabou. Par ailleurs, et mon enfance, et la société, et ce métier m’ont appris que c’était de ma faute. Je n’étais ni intellectuellement, ni analytiquement, ni physiquement armée pour penser autrement. »


« Dès le premier film auquel j’ai participé, j’ai été confrontée au problème des agressions. C’était un petit rôle, j’avais 18 ans. Au deuxième jour de tournage, le réalisateur force la porte de ma chambre et me viole. J’ai pensé que c’était de ma faute, et je ne l’ai dit à personne. »


« Je pourrais compter sur mes mains le nombre de réalisateurs qui se sont intégralement bien comportés avec moi. »


« Ce sont les hommes de pouvoir et d’autorité qui m’ont toujours fait peur. »


« J’ai subi cinq agressions. »


« Les femmes de ma génération, nous ne nous accordions pas le droit de parler. Sinon, nous étions perçues comme des chieuses. »


Elle a aussi participé à un tournage avec Gérard Depardieu et a été témoin de paroles et gestes totalement inappropriés de la part de l’acteur, faisant rire le plateau mais surtout les chefs, ceux en haut de la hiérarchie.

Christine Citti termine son témoignage « Je rase les murs depuis tant d’années, je ne veux plus. Je veux marcher au milieu du trottoir. Et je veux que toutes les femmes puissent marcher au milieu du trottoir. »

Vahina Giorante : 


Diffusé le 24 mars sur TF1 dans Sept à Huit, Vahina Giocante, actrice, partage son témoignage sur l’inceste qu’elle a subit durant son enfance par son père. Elle raconte son histoire avec beaucoup de courage et partage aussi les abus qu’elle a vécu dans le monde du cinéma, s’alignant à la parole de Judith Godrèche et de toutes les autres actrices ayant été victime par un homme de ce milieu.


Dans son témoignage et ce qu’on peut très souvent entendre de la part des victimes des incestes, elle déclare : «  Là, on dépasse la limite de la tendresse d'un père et on passe au désir d'un homme », « Le silence augmente et accentue cette sensation de honte ». Mais aussi la stratégie de manipulation du prédateur pour garder sa proie sous silence « On a un moment donné un échange où il me dit que si j'en parle, les conséquences pourraient être très graves, qu'il pourrait aller en prison et qu'on serait séparés pour toujours ». Concernant les abus qu’elle a subi dans sa carrière d'actrice, elle nomme Benoît Jacquot en parlant de « son énergie de séduction ».


Vahina Giocante finit son témoignage par un message d’espoir pour toutes les victimes : « Souvent, j'entends qu'on ne peut pas guérir de l'inceste. Je suis la preuve vivante qu'on peut en guérir. »

#MeTooGarçon


Ce 22 février 2024, Aurélien Wiik, comédien, lance le #MeTooGarçon en révélant lui-même les agressions sexuelles qu’il a subi de ses 11 à 15 ans. A la suite de son témoignage, de nombreux hommes ont aussi eu le courage de briser le silence, défiant les stéréotypes liés à la masculinité et aux victimes de violences sexuelles. La majorité de ces témoignages rapportent des abus subis lorsqu’ils étaient encore mineurs.


« J’ai été victime à 7 ans d’un homme en situation de pouvoir et de domination. Jamais une femme n’a nié ou minimisé la douleur que j’exprimais. Les seuls qui en ont ri sont des hommes. La culpabilisation et la honte ont toujours été accentués par d’autres hommes. »


Arnaud Gallais, ancien membre de la CIIVISE déclare « il faut vraiment qu’on arrive à s’unir » en parlant des associations féministes et des femmes victimes, qui pour rappel représente 81% des victimes de violences sexuelles. Ce n’est pas la première fois qu’on voit émerger un mouvement de prise de parole d’hommes victimes, on a déjà eu MeTooInceste ou encore MeTooGay.

Durant longtemps et encore à l’heure actuelle, la parole des hommes victimes reste sourde aux oreilles de la société, ceci est dû à la construction de la masculinité, l’injonction à la virilité, l’homophobie ou encore les stéréotypes de genre. Tous ces facteurs invisibilisent les violences sexuelles sur les petits garçons et les hommes (Cromer et al., 2017).
 

Sources :


Aux César, Judith Godrèche confronte le cinéma à son silence face aux violences sexuelles | Mediapart

#MeToo dans le cinéma : « C’est une révolution, ils ne peuvent plus l’empêcher » | Mediapart

L’actrice Christine Citti : « #MeToo nous sauve la vie » | Mediapart

Au cœur des témoignages #MeTooGarçons, les dégâts d’une « idéologie de la virilité »  | Mediapart

VIDÉO - "Sept à Huit" : Vahina Giocante démonte le mécanisme de l'inceste que son père lui a fait subir | TF1 INFO 


Cromer, S., Darsonville, A. A. D., Desnoyer, C. C. D., Gautron, V., Grunvald, S., & Lorvellec, S. (2017, 6 décembre). Les viols dans la chaîne pénale. https://hal.science/hal-01656832

Edouard Durand et Judith Godrèche, unie contre le déni, Le Monde, Par Dominique Perrin