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L'intelligence du corps

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


3 – Mémoire et apprentissage

L'apprentissage permet de conserver des informations acquises, des ambiances émotionnelles et des impressions capables d'influencer les comportements et les attitudes à des fins d’efficience dans un milieu donné. Cette efficience, nous allons le voir, repose sur une conjugaison de facteurs très variés. L’articulation souple entre la conscience et les différentes autres instances de l’organisme. Cette pensée consciente dépend de manière significative de la perception que nous avons de notre corps et de nos viscères. Antonio Damasio a montré que les émotions nées de ces perceptions viscérales et stockées dans la mémoire – ici la mémoire de travail – permettent le marquage qualitatif de l’information et d’en hiérarchiser la valeur.

La mémoire de travail permet d'effectuer des traitements cognitifs sur les éléments qui y sont temporairement stockés. Elle serait donc plus largement impliquée dans des processus faisant appel à un raisonnement, comme lire, écrire ou calculer par exemple. Une tâche typique qui la met à contribution consiste à restituer, dans l'ordre inverse, une série d'items qui vient d'être énoncée.
La mémoire de travail serait constituée de plusieurs systèmes indépendants, ce qui impliquerait que nous ne sommes pas conscients de toute l'information qui y est stockée à un instant donné.

Toute création, toute décision et toute action reposent sur ce processus car le parfait équilibre de l’organisme en dépend – homéostasie. L'apprentissage est la principale activité du cerveau, laquelle vise à donner en permanence un sens dans le désordre en modifiant constamment sa structure pour mieux faire face aux expériences rencontrées. Il permet naturellement une sorte d'encodage des informations qui est une première étape essentielle des processus de mémorisation. La mémoire garantit la conservation des données autobiographiques, des connaissances acquises et la préservation des schèmes de comportements ou d’attitudes, selon les moments, selon les lieux. C’est là qu’une comparaison à l’informatique n’a plus cours, la mémoire repose sur des principes régulateurs vivants et autonomes qui dépendent des interactions avec ce que l’on nommera, pour l’instant, l’environnement. Dans son effort permanent pour maintenir un état d’équilibre, l’organisme fait face à un nombre prodigieux d’informations dont il doit sélectionner les plus pertinentes. On devine alors que les moindres perturbations de cet équilibre vont introduire un défaut de régulation qui ne sera pas immédiatement régulé et cela perturbera les capacités mémorielles. Parfois, notamment dans les cas de traumas graves et répétés, la régulation ne peut s’opérer qu’en aliénant la poche traumatique et en créant d’autres circuits régulateurs. Ce qui est probablement à l’origine de perturbations notables en cas de stress post-traumatique : flashback, dissociations, anesthésie émotionnelle, etc.

« Je reprends les hypothèses que les neurosciences nous proposent à propos de ces personnes dont l'expérience d’un trauma précoce a lésé leur capacité de conscience (their capacity to be 'in mind') et, avec elle, leur fonction d'intériorisation (reflective self-function), qui présentent des signes de dissociation et dont les défenses maintiennent l'expérience insupportable du trauma à l'écart, hors du champ de conscience. Qui se trouvent donc empêchés dans le maintien de l’équilibre global.

Je me réfère d'abord à la théorie de la dissociation (dissociationist theory) et ses développements, ensuite, tirer parti des enseignements apportés par les neurosciences sur les traumatismes précoces et leurs effets sur l'encodage et le recours à la mémoire. Enfin, s’agissant du processus de guérison je fonde l’hypothèse que l'intégration hémisphérique est la clé pour défaire la dissociation et qu’elle est le prélude à la consolidation de notre propre identité. » (Wilkinson, Margaret)

L’organisme est en relation permanente et incessante avec le monde extérieur et le monde intérieur. Les cinq sens sont mis à contribution par le processus de perception : couleurs, formes, saveurs, odeurs, température, lumière, etc. Ce sont donc les neurones de différentes zones du cerveau qui sont mis à contribution. L’objet perçu est mémorisé de la même façon, par la mobilisation des zones impliquées dans un premier temps dans le contact à l’objet. La conscience a alors accès au souvenir du dit objet. On comprend donc qu’il faut de nombreuses associations de neurones, donc de traces sensorielles pour qu’un souvenir approche la réalité.

Des informations partielles ou isolées rendront un souvenir plus imprécis car le réseau des neurones impliqués sera insuffisant. L’acquisition des connaissances repose donc sur la capacité à associer le plus d’informations sensorielles possibles. D’où l’importance de la concentration, phénomène bien connu des pédagogues. C’est ainsi que les informations acquises face à un phénomène ou objet nouveau s’associent aux informations sur les objets antérieurs. L’apprentissage repose sur cette accumulation progressive d’associations mémorielles donc sur les capacités du sujet à fiabiliser ces facultés. Les organes des sens et la capacité de la conscience à en intégrer les contenus sont des préalables.

On connaît les facteurs qui favorisent ou perturbent les intégrations mémorielles :

1) la vigilance, l'éveil, l'attention et la concentration.

Si l'attention favorise l’intégration mémorielle, son altération perturbe les performances mnésiques. L'effort conscient de répétition ou d'intégration, l’imitation, la répétition de l'information améliorent les capacités mnésiques.

 

2) l'intérêt, la force de la motivation, le besoin ou la nécessité. La force instinctive qui crée un besoin.

3) les valeurs affectives des objets environnants, l'humeur/ambiance émotionnelle intérieure et l’émotion du sujet.

L’intensité de l’impact émotionnel peut perturber le rapport à la mémoire. Mais cela dépend de l’implication du sujet. Si le sujet n’est pas impliqué, le souvenir peut être très clair et ramené à la conscience avec le contexte. On parle de flashbulb memorie. C’est la différence que l’on observe dans les récits de témoignages d’observateurs des attentats qui ont frappé la France en 2015. Alors que les victimes, suite à la sidération due au choc, auront plus de mal à rendre un souvenir cohérent. Un choc émotionnel libère différents neurotransmetteurs tels que la noradrénaline et une hormone, le cortisol. Ils permettent un traitement mnésique des événements qui facilite la protection de l’organisme contre la peur.

 

4) La mémorisation dépend des capteurs sensoriels donc de l’ensemble des éléments du contexte : lumière, sons, saveurs, odeurs, ambiances, disposition des lieux, emplacement de l’objet, etc. l’encodage mémoriel est global alors que la conscience se soucie plutôt d’un élément précis utile à un moment donné.

Les systèmes mnésiques sont contextuels. Pour retrouver un élément précis d’un moment passé, il est préférable de ramener à la mémoire le maximum d’éléments du contexte. On appelle « indices de rappel » ces éléments, parfois disparates qui permettent de ramener à la mémoire un fait précis dont la conscience a besoin. C’est par ces multiples associations que le souvenir s’amplifie pour donner accès à l’information utile.

4 – Oubli et amnésie, relation avec les rêves

L’oubli total ou partiel fait partie intégrante des phénomènes de mémorisation. Il permet à l’organisme de se débarrasser d’une quantité importante des informations qui sont traitées en continu et qui sont évaluées comme étant inopérantes.

L’oubli est très différent de l’amnésie. Celle-ci peut survenir suite à un choc ou à des conditions répétées de souffrance ou de danger. L’amnésie peut être sélective et ne concerner que la zone du trauma. Contrairement à ce que disent certains cliniciens, la mémoire ne revient pas spontanément « avec le temps ». On peut observer, en effet, que la zone de temps concernée par le traumatisme peut, en se libérant, déverser toute la charge émotionnelle qu’elle aura bloquée. Ce qui veut dire qu’un traumatisme peut affecter plusieurs systèmes neuronaux et les zones du cerveau qui leur sont afférentes. L’oubli est un phénomène naturel auto contrôlé alors que l’amnésie résulte d’une entrave au processus d’harmonisation de l’organisme – homéostasie.

Un résonateur mémoriel : la peau et l’inscription au corps

La peau est l’organe qui constitue la première barrière de protection de l’organisme. Une lésion du corps déclenche simultanément différents types de réponse. Une réaction d’alerte qui inclut un réajustement postural de protection ou de fuite.

Une réponse du système nerveux végétatif impliquant l'activation de neuromédiateur, la sécrétion d'hormones telles que la noradrénaline, l’adrénaline, le cortisol.

Une réponse émotionnelle qui induit à son tour une chaîne comportementale plus élaborée, cris, plaintes, pleurs, etc. des gémissements, des plaintes, des cris ou des pleurs.

On constate également des réactions plus profondes, viscérales, cardiaques – vasoconstriction –, musculaires et posturales – blocage de la mobilité, crispation des muscles du visage. L’organisme humain est constitué de milliards de cellules hautement différenciées qui se répartissent en différents systèmes, sanguin, immunitaire, endocrinien, respiratoire, nerveux avec le cerveau, etc. La « gouvernance » (A. Damasio, p. 46) de cet organisme suppose une parfaite collaboration de ces différents systèmes et une articulation harmonieuse entre leur fonction première. Ce qui revient à dire que le phénomène singulier que nous appelons conscience n’est que partiellement agent dans l’immersion de l’organisme dans le monde. La fonction mémorielle dépend donc de chacun de ces systèmes et dans leur singularité. Le dualisme cartésien qui présentait un ordre commode entre la viande et l’esprit semble dépassé. (A. Damasio, L’erreur de Descartes)

Je t’ai dans la peau !...
Oui, mais quoi ?

En 1982 Robert Courbon nous initiait à un traitement de mésothérapie sur les cicatrices anciennes et récentes. L’étudiant qui servait de cobaye avait eu un grave accident de moto dont témoignait une très longue cicatrice sur la jambe. En général, il se forme autour d’une ligne cicatricielle une zone plus ou moins indurée qui est due à des adhérences entre les différentes couches de la peau – l’épiderme, derme, hypoderme. Les adhérences étaient nettement perceptibles à la palpation. (Passons sur les détails du traitement qui a pour but d’assouplir toute la zone cicatricielle et de permettre une meilleure irrigation des tissus. Le traitement a été mis au point en Allemagne.) Au cours du traitement, le patient s’est mis à hurler et s’est retrouvé très rapidement dans un grave état de choc. Rapidement pris en charge et rétabli, il nous a raconté qu’il venait de revivre tout l’accident en une fraction de seconde. Il avait senti « son cœur éclater ». J’ai été encore plus impressionné le lendemain quand il nous a raconté ses rêves de la nuit : l’accident, les secours, l’hôpital... Avant le traitement, cette zone était frappée d’amnésie. Il ne se souvenait que de l’instant précédent l’accident et du réveil sur son lit d’hôpital.

J’ai ensuite testé cette méthode sur plusieurs patients et sur moi-même, j’ai, chaque fois, vérifié la répétition de ce phénomène de libération de la mémoire bloquée par le traumatisme. On constate également que les souvenirs du trauma reviennent en parallèle à des rêves qui relatent ce moment.